Pédophilie : son origine dans la dépression de l’enfant ?

Bien comprendre comment on devient pédophile permet d’anticiper des actes pédophiles et des thérapies possibles des acteurs. La « dépression primaire de l’enfant » est souvent à l’origine de la pédophilie.

La Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (la CIASE) a rendu publics ses résultats le 5 octobre 2021.

Les chiffres ont engendré une vive inquiétude chez tous ceux qui ont pris le temps de les consulter dans leur accès, volontairement rendu libre, sur internet.

Assurément il ne faut pas en rester à la sidération et à sa suite laisser libre court à la colère ou l’indignation.

Ce risque nous interpelle toujours, lorsque nous prenons conscience soudain de maltraitances et d’abus imposés aux enfants.

Déceler un futur passage à l’acte

Il est absolument certain que ce n’est ni la colère ni le mépris qui permettront de déceler de manière anticipée un futur passage à l’acte. Notamment chez un séminariste, un prêtre ordonné ou un religieux ayant d’autres responsabilités dans la hiérarchie de l’Eglise.

Incriminer violemment et fustiger un auteur de pédophilie et ici plusieurs membres de l’Eglise, est une perte de temps. Ce qui est à mettre en place est la reconnaissance du fonctionnement de ces personnes afin de prévenir, d’anticiper et d’empêcher les actes.

Anticiper, pour des professionnels de la santé mentale spécialisés dans les agressions sexuelles et spécialement celles de la pédophilie, cela veut dire savoir comment se construit dans la tête l’approche sexuelle de l’enfant et pourquoi la dynamique de cette construction mentale devient de plus en plus irrépressible chez celui qui est concerné.

Ce n’est pas tous les psy qui peuvent répondre d’une spécialisation sur la reconnaissance et la prise en charge des agressions sexuelles et spécialement de la pédophilie.

Il faut un doctorat de recherche sur l’ensemble des étapes par lesquelles, l’enfant, l’adolescent et le futur adulte passera pour devenir, presque malgré lui, pédophile. Puis il faut être passé par une formation thérapeutique au sein des établissements spécialisés dans les prises en charge de ces personnes.

Comment devient-on pédophile ?

Lorsque l’on dispose de ce parcours professionnel, on peut vraiment répondre aux questions suivantes : Comment le devient-on ? Comment le professionnel accompagne-t-il son patient efficacement pour qu’il ait une chance de s’en sortir ? 

Répondre à la première question c’est d’emblée devoir expliquer que la réponse n’ a rien à voir avec le problème de la privation sexuelle, de la retenue sexuelle et donc de la chasteté imposée aux séminaristes, puis aux prêtres leur vie durant.

Bon nombre de pédophiles sont mariés et ont une vie sexuelle avec un ou une adulte.

Bien comprendre comment on devient pédophile est donc une étape très importante pour ne pas se jeter sur des explications qui ne sont pas les bonnes, et qui conduiraient vers des récriminations hostiles inutiles pour l’anticipation des actes pédophiles et des thérapies possibles des acteurs.

Par conséquent, il faut d’emblée prendre la voie de la demande d’explication.

Comment une personne risque-t-elle, parfois adolescente, mais le plus souvent adulte, de devenir pédophile ? Depuis 70 ans maintenant, psychiatres et psychanalystes spécialisés sur les agressions sexuelles de la pédophilie, publient sur les causes et les moyens de la prévenir.

Les étapes ratées

Il faut que deux étapes cruciales soient ratées chez les moins de 10 ans pour qu’existe un risque de devenir plus tard pédophile.

De même, on sait les étapes que la personne concernée doit rencontrer, sur son chemin de jeune adulte ou d’adulte confirmé, pour que le compte à rebours vers le futur passage à l’acte s’enclenche.

Quelles sont ces étapes qui ont lieu à des moments de la vie différents et qui sont toutes nécessaires pour qu’advienne ultérieurement ce qui sera un fonctionnement pédophilique ? 

Psychiatres-psychanalystes et psychanalystes spécialisés sur les agressions sexuelles des pédophiles s’accordent sur le même point de départ : ce que l’on appelle la dépression primaire chez l’enfant de moins de 10 ans.

Il ne s’agit pas ici d’entendre le mot « dépression » tel que beaucoup l’utilisent autour de nous de manière stéréotypée et galvaudée, lorsqu’on le réduit aux pleurs fréquents, aux idées noires récurrentes et aux insomnies anxiogènes.

La « dépression primaire » qui ne peut toucher que les moins de 10 ans, ne se confond pas avec une « dépression familière » chez l’enfant.

Elle indique l’état durable dans lequel se trouve l’enfant de moins de 10 ans, quand son environnement familial, parental, ne lui a pas permis de reconnaître ses émotions intérieures (joie, peine, colère, impatience, tristesse, peur, etc.) comme étant les siennes, comme étant lui, et quand ce même environnement ne lui a pas non plus permis de bien vivre le fait que les autres soient Autres que lui (qu’ils aient d’autres pensées, d’autres sentiments, etc.).

La piste erronée

Qu’est-ce que cela veut dire ? Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, les adultes pédophiles n’ont pas nécessairement été des enfants jadis abusés de la même manière dans leur enfance.

De même, un adulte violent n’a pas nécessairement été un enfant frappé dans son enfance.

Il y a toujours eu bien plus d’enfants qui ont été abusés et violentés qu’il n’y a d’adultes acteurs de ces abus et de ces maltraitances , même si ces derniers sont nombreux.

Ce qui signifie que bon nombre d’enfants devenus adultes ne reproduiront aucune violence de celles qu’ils ont vécues.

Les rédacteurs de la CIASE pourraient certainement le confirmer par le biais des victimes adultes qu’ils ont rencontrées et qui n’ont pas perpétué les violences subies plus jeunes.

En revanche, ce que les pédophiles auront en commun 9 fois sur 10 dans leur enfance, ce sont des mères dépressives dont aucun adulte (père ou autre) n’a jamais pris le relais pendant leur petite enfance.

Le développement de l’enfant

Une mère, quelque imparfaite qu’elle soit, si elle n’est pas durablement dépressive lors de la petite enfance de son enfant, va lui parler de lui pendant des années (tu es triste, tu es méchant, tu es content, tu es rapide, etc.) comme si elle était son double qui savait au moment opportun ce que lui vivait et le lui renvoyait en miroir.

Puis elle va progressivement le préparer à accepter qu’elle n’est pas ce double, qu’elle n’est pas son prolongement, qu’elle est distincte de lui, qu’elle est autre, qu’elle lui échappe sans qu’il la perde pour autant.

Une mère dépressive

La mère du pédophile n’aura pas pu amener son enfant jusqu’à ces deux étapes absolument constitutives, nécessaires, à un narcissisme primaire sans lequel aucune expérience d’identification de soi n’est possible.

Donc cet enfant privé d’un narcissisme sain, bon (puisque narcissisme ici est un vocabulaire professionnel et non la désignation d’un nombrilisme) va découvrir l’altérité de sa mère, et des autres qui l’entourent, de manière angoissante.

Quand, par à-coups, elle sortira de sa dépression et qu’elle se dirigera vers lui pour lui témoigner enfin quelque chose de sa demande affective, à elle, envers lui, il sera trop tard.

L’enfant, sans assise intérieure de lui-même, incapable d’identifier ses émotions comme son foyer intérieur, comme son repli en lui-même, vivra cet autre qui arrive vers lui, intentionnellement, comme menaçant, effrayant jusqu’à la panique.

Au regard de son jeune âge, son absence de narcissisme primaire ne lui laissera que peu de défense inconsciente possible : ou il rentrera dans un processus morbide, ou il mettra en place, sans s’en rendre compte, un déni, le déni de l’altérité des autres.

L’enfant qui risque un jour d’évoluer vers un processus pédophilique est marqué par ces deux étapes et leur tragique conséquence : l’absence de narcissisme primaire, l’angoisse de l’expérience de l’altérité des autres et le déni de cette altérité.

La dépression primaire de l’enfant

L’ensemble est ce que l’on appelle la dépression primaire chez l’enfant de moins de 10 ans.

Quel lien avec le désir sexuel pour des enfants, chez un adolescent, un adulte, un religieux pédophiles ? Quand ces enfants marqués grandissent, rien ne se modifie en eux, ni l’absence de narcissisme primaire, ni le déni de l’altérité des autres.

Ils ne sont déficients ni intellectuellement, ni socialement : ils décrochent des diplômes, s’engagent professionnellement ou religieusement.

Cependant, un basculement grave peut s’opérer si, dans leurs vies, ils rencontrent quelque chose qui va leur donner l’impression très forte de leur parler d’eux.

Le Dieu des évangiles

Le Dieu chrétien peut être malheureusement l’exemple parfait de cette dernière étape.

Pour une personne qui a eu une enfance, même malheureuse, mais qui lui a permis d’avoir conscience de soi et d’accepter les autres dans leurs distinctions radicales d’avec soi-même, aucun danger, ce Dieu sera réconfortant, tel un repère absolu et un chemin de foi.

Mais pour ceux qui sont restés avec les conséquences psychiques d’une dépression primaire, vivre le Dieu des évangiles va être à la fois une expérience trop fortement compensatrice et après coup traumatisante, que seul l’enfant lui permettra de répéter sans terreur.

Les évangiles et en général le second testament, qui sont les textes fondateurs pour les religieux chrétiens, présentent un Dieu-Amour, un Dieu qui s’adresse à, regarde, et désigne, les hommes : « tu es toi devant Moi », « Tu es mon fils, tu es ma joie » (Évangile selon st Marc), « tu es en moi et moi en toi » (Évangile selon st Jean).

Pendant toutes les années d’études des séminaristes, on présente Le Tout-Autre comme Celui qui parle à l’homme de lui, Celui qui lui dit qu’Il le connaît puisqu’Il est son origine et que l’homme est à son image et à sa ressemblance.

Il est ainsi à l’homme « plus intime que l’intime de soi-même » (st Augustin).

L’expérience du séminariste frappé par une dépression primaire

On comprend alors facilement que les séminaristes marqués jadis par une dépression primaire, vont expérimenter pour la première fois avec une force sans précédent, ce que le miroir maternel aurait dû leur permettre de vivre, plus tôt, avec une intensité bien plus modérée.

Cette prise de conscience de soi par et devant un Autre qui vous regarde, par et devant un Autre qui échappe au déni dont son objet les autres personnes humaines, cette prise de conscience de soi dont les religieux pédophiles parlent aux psychanalystes quand ils acceptent de se faire suivre en cabinet, est d’une telle intensité qu’elle s’accompagne de réaction sexuelle.

Mais très vite cette notion du Tout-Autre va aussi faire remonter inconsciemment, ou consciemment, des expériences infantiles de terreur.

Même si le séminariste continue son chemin spirituel et théologique, il ne pourra plus réellement se tourner vers cet Autre qui lui a parlé de lui, pour s’éprouver lui-même.

Le suivi par un professionnel

Car à ce moment-là de sa vie, si un professionnel de santé le suit, il exprimera auprès de lui qu’il ignore pourquoi cette étape de conscience de soi devant Dieu, si belle un temps, s’accompagne désormais de terreurs, de cauchemars, où reviennent les souvenirs de sa mère qui dans son altérité effrayante, vient vers lui…

Ce Dieu-miroir-aimant, cette altérité divine, on ne peut manquer de finir par le voir comme Autre absolu, radical. Il ne peut manquer dans le temps de réveiller le souvenir de cet Autre de jadis, cet Autre maternel qui a rendu nécessaire dans l’enfance le déni de l’altérité en général.

Malgré tout, l’expérience vécue a été si révélatrice qu’il voudra la revivre et c’est de manière élémentaire qu’à ses yeux la candeur imaginée de l’enfant lui apparaîtra comme ce qui lui parle de lui sans être un Autre angoissant.

Les conséquences

C’est aussi pour cela que jamais, pour les pédophiles, la possibilité que l’enfant souffre, c’est-à-dire avant tout qu’il soit différent de lui (qu’il vive mal les désirs de l’adulte, que les désirs de l’adulte ne soient pas les siens et lui soient imposés), ne sera jamais concevable et jamais consciemment ils ne voudrons lui infliger la moindre souffrance.

Ils ne laisseront pas le choix à l’enfant de ce qu’ils veulent revivre avec lui, c’est vrai, mais dans l’intention, ils voudront pour lui des gestes doux bien que sexuels et ils lui demanderont des gestes doux bien que sexuels.

Le choc des phrases

Quand on a suivi des pédophiles en cabinet, leurs phrases orientées vers la même expérience, restent extrêmement précieuses pour comprendre ce qui s’y joue, si on veut bien dépasser le choc de les entendre et de les lire :

« l’enfant est comme moi »

« nous sommes très loin des autres »

«  l’enfant est le beau prolongement de moi »

« avec l’enfant je me vis moi sans ces terreurs nocturnes de mon enfance et les mots sont trop faibles pour décrire cette expérience sans comparaison, d’ailleurs personne ne peut la comprendre en dehors de nous, même le mot « nous » est en trop »

« l’enfant, lui, me comprend et ne me menacera jamais, tellement il se fait l’écho de la douceur que j’ai en moi »

« l’enfant m’appartient pour toujours et sans contrainte car nous nous connaissons si bien »

« comment vous parler, Madame, de tout ce que je perçois de moi en lui ?  C’est comme si je ne pouvais jamais assez m’approcher du reflet qu’il me propose, seul mon corps à son contact me dit que j’y suis arrivé, que je suis bien lui, qu’il est bien moi ».

L’insuffisante explication

On ne peut pas expliquer en peu de lignes ce qui prend des années à se construire. On ne peut pas expliquer en peu de mots la place de la sollicitation sexuelle dans la recherche d’une expérience de soi à travers un petit autre qui n’est plus vraiment autre. Ce n’est pas simple, voire insatisfaisant.

Espérons que des demandes de compréhension des processus pédophiliques se feront jour dans les espaces sociaux de rencontres. Ainsi, les professionnels que nous sommes pourront en parler plus longuement sans difficulté. Alors, on pourra faire accompagner les séminaristes par des professionnels de santé indépendants. Dans ce cas, on ne confondra plus les traces, déroutantes, spécifiques, que les victimes portent à vie avec celles des autres formes d’agressions sexuelles.

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