Plus d’anxiolytiques durant la pandémie. Pourquoi et comment ?
Anxiolytiques en hausse pendant la pandémie, pourquoi ?

Plus d’anxiolytiques durant la pandémie. Pourquoi et comment ?

Anxiolytiques et antidépresseurs, pendant la pandémie, on en a prescrit plus qu’à l’habitude, surtout les anxiolytiques. Il est bon de s’interroger sur les raisons de ces différences et leurs conséquences.

Parmi les effets de la pandémie il y a l’augmentation des prescriptions des anxiolytiques et des hypnotiques. Dans l’article « moins de prévention et plus de pilules » (vih.org, Etude pharmacopée épidémiologique, Ephi Phare) on prend connaissance que le « top des hausses » des prescriptions concerne les anxiolytiques et les hypnotiques. On évalue cette augmentation (+ 1,1 million d’anxiolytiques et +480 000 d’hypnotiques) par rapport aux seuils prévus et attendus pour chacun de ces groupes de médicaments. Les antidépresseurs quant à eux ont également augmenté, mais beaucoup moins.

Les anxiolytiques et les hypnotiques fonctionnent bien différemment des antidépresseurs. Si les prescriptions sont plus que jamais en faveur des deux premiers, c’est que l’usager, en parlant à son médecin, doit donner certaines impressions sur lui-même pour qu’il le lui recommande. Comprendre le fonctionnement de ces deux médicaments nous permettra de comprendre comment nous parlons de nous, de nos émotions pour que l’on nous invite à les prendre.

Anxiolytiques et antidépresseurs pendant la pandémie

Antidépresseurs et sérotonine

Les antidépresseurs s’occupent de la sérotonine, ils n’en produisent pas. Cette dernière est un élément naturel de notre corps. Loin d’être l’hormone du bonheur telle qu’on la présente souvent, elle est un neuromodulateur (un neurotransmetteur qui régule) qui donne à l’individu l’état d’esprit, l’envie, de se maintenir dans les situations qui lui sont favorables.

Si la sérotonine est trop dégradée dans le cerveau d’une personne, il y a risque de dépression. Le sujet n’a plus assez de préoccupation pour lui-même. Il ne croit plus assez en ses chances pour se maintenir dans des situations favorables. Pour la même raison, il va augmenter les situations à risques pour lui-même.

L’antidépresseur face à cette dynamique « négative », ne paralysera pas les ressentis négatifs. Il va ralentir la vitesse de dégradation de la sérotonine. Il va permettre donc que nous en ayons plus longtemps dans notre cerveau. [95 % de la sérotonine produite par la muqueuse gastro-intestinale passe dans le tube digestif puis le sang, mais elle ne sera pas présente dans notre cerveau.

La sérotonine présente dans notre cerveau représente une très petite quantité de la sérotonine de notre corps. Elle est donc d’autant plus précieuse. Sans antidépresseurs, naturellement, les terminaisons des fibres nerveuses vont la pomper, ce qui va en diminuer la quantité au niveau des synapses de notre cerveau. Les antidépresseurs vont ralentir la vitesse de ce pompage chimique naturel. Ainsi, quand la sérotonine va être déversée par la fente synaptique, elle ne sera pas recapturée, dégradée. En tous cas, pas aussi rapidement qu’elle aurait pu l’être par les neurones présynaptiques. Les antidépresseurs ne vont pas augmenter la production de la sérotonine. Ils vont permettre qu’elle reste plus longtemps présente, avec ses effets favorables sur notre cerveau réactif, au lieu d’être naturellement vite indisponible.

Anxiolytiques pour gérer les peurs

Les anxiolytiques et les hypnotiques n’ont pas du tout ce fonctionnement. Les hypnotiques induisent la somnolence, et les anxiolytiques ralentissent l’activité des neurones.

Le ralentissement des neurones se traduit évidemment par un ralentissement de la concentration, de la mémoire, de l’état psychomoteur. Également, par une baisse de la vigilance, par l’altération de l’état de conscience (causant insomnie, cauchemar, etc.) De ce fait, la législation prévoit des limites à la prescription. Elles sont de 12 semaines de prescription pour les anxiolytiques et 4 semaines pour les hypnotiques.

Le risque des anxiolytiques

Qu’est-ce que ce détour par des fonctionnements moléculaires différents nous permet-il de comprendre ?

Le bilan durant la pandémie est mitigé. Les prescriptions qui ont augmenté durant cette période sont celles qui ralentissent les compétences et les facultés de chacun. Celles qui réduisent les capacités cognitives qui nous permettent de nous impliquer dans les situations de notre vie. Les prescriptions en hausse durant la pandémie sont celles qui ralentissent la prise de décision, la concentration, les motivations, etc. À l’inverse, on n’a pas privilégié les antidépresseurs. Pourtant, ils nous laissent plus longtemps avec notre taux naturel de sérotonine. taux qui nous permet de mieux gérer les difficultés, de réaliser des choix plus proches des situations à notre avantage. La sérotonine, en effet, améliore considérablement notre évaluation des incidences de nos décisions.

Pourquoi ?

Les professionnels de santé n’ont pas dirigé vers ce qui améliore nos prises de décision, mais au contraire ont invité à avoir recours à ce qui diminue notre vigilance. Bien loin de leur prêter une mauvaise évaluation, commençons plutôt par nous demander comment nous leur parlons de nos émotions, comment nous nous y rapportons devant eux, pour induire une prescription qui nous en déleste, nous en sépare !

Le rendez-vous chez le psy

Une personne qui prend rendez-vous chez un « psy » avec ses peurs, son anxiété, ses soucis qui viennent la relancer les nuits comme si la hanter de jour ne suffisait plus, se doute qu’il va falloir se poser quelques questions et faire l’effort de comprendre un peu mieux son fonctionnement.

Même si le « psy » est là pour l’aider à saisir ce qui dans sa construction mentale et émotionnelle peut devenir des zones à risques, des zones de doutes, elle sait , quelque part, qu’elle va devoir s’intéresser à elle-même. En revanche, si chacun cherche dans sa mémoire les souvenirs des moments où il a évoqué auprès d’un médecin ses souffrances psychologiques, on se rend compte qu’il en va tout autrement. Devant un médecin on parle des maux psychiques comme on parle des dysfonctionnements du corps. On décrit des anomalies dont il faut nous débarrasser. On parle comme si il s’agissait de pensées, de ressentis qu’il faut à notre place réparer ou extirper. Le médecin y répond sans doute tout aussi systématiquement en prescrivant des anxiolytiques et des hypnotiques qui mettent à distance ces souffrances comme un précieux paracétamol contre les émotions fortes et hostiles !

Mais il y a une différence

Pourtant il y a une grande différence. Si un corps endolori ou malade est un corps qui dysfonctionne, qui est traversé d’une anomalie qui l’éloigne des normes fonctionnelles qui caractérisent la santé, l’approche n’est pas la même pour comprendre les souffrances psychiques qui ne sont pas des maladies. Bien souvent, les souffrances psychiques ne sont pas les conséquences d’une pathologie mentale. C’est ce que montre la recrudescence des prescriptions d’anxiolytique et hypnotiques. Ces médicaments ne soignent pas les vraies maladies mentales, on les adresse tout autant à « Monsieur et Madame tout le monde ».
Si donc les souffrances qui nous empêchent de vivre « normalement » note vie ne sont pas des anomalies dans notre fonctionnement psychique, que sont-elles alors ? Elles sont dues à des évènements cumulés que nous avons finis par mal gérer, par fatigue psychique, à cause des évènements ponctuels, précis, que nous aurions pu bien mieux absorber si ils n’étaient pas venus sur un terrain psychique déjà éprouvé. Par exemple, nous n’avons pas au bon moment la ressource nerveuse pour bien digérer une situation et y faire face sans de vrais dommages, car ce sont parfois des évènements qui dans leurs significations profondes (et non dans leurs apparences) ressemblent à des évènements plus anciens qui nous ont marqués et nous les confondons inconsciemment entre eux… Si ceux du passé n’ont pas été bien gérés, ceux du présent que notre cerveau perçoit comme ressemblants auront le même effet sur nous.

Nos histoires de vie

En somme, ce sont nos histoires de vie qui nous amènent chez le médecin à énoncer : « je ne veux plus ressentir cela », « je ne veux plus mal dormir », « je ne veux plus pleurer », « je ne veux plus de nausées ni de boule au ventre », etc. Mais énonçant ainsi nos demandes, nous présentons les choses à l’inverse de ce qu’elles sont : comme si nos souffrances étaient juste des symptômes sans histoire, des choses à rejeter, dont il n’y a rien en comprendre. Puisqu’elles n’ont pas de sens et sont là juste pour nous embêter, nous demandons seulement à en être soulagés, à en être littéralement libérés. Le médecin, habitué à considérer les dysfonctionnements du corps, ne pourra que suivre la demande ainsi faite. Pourtant, parler nous-mêmes ainsi de nous est bien une erreur et la pandémie nous permet de le comprendre.

S’intéresser à soi pendant la pandémie

Comment faut-il alors nous rapporter à nous-mêmes pour éviter la situation invraisemblable de payer le prix du soulagement ? Il est très fréquent d’entendre un certain désintérêt pour soi lorsque les personnes viennent volontairement dans le cabinet d’un « psy ». Elles ne présentent pas les pensées et les émotions devenues insupportables de la même manière que devant le médecin, car la demande n’est plus en direction de leur suppression, mais en direction d’un retour à l’état dit initial : « je n’étais pas comme ça avant, ou pas autant, je voudrais redevenir comme avant ! ». C’est déjà un progrès, car la demande de confort, ou la demande de la suppression de l’émotion encombrante est cette fois-ci accompagnée d’une auto-évaluation, d’une comparaison personnelle entre « soi avant » et « soi maintenant ». On s’intéresse déjà un peu à soi puisque l’on vient chez « le psy » pour dénoncer un écart et le refus de cet écart.

Un moi idéal grâce aux anxiolytiques ?

Les hypnotiques et les anxiolytiques n’ont répondu qu’à la demande de ne rien savoir de la rupture d’avec nos vies d’avant : « je veux me sentir sans anxiété, comme si rien n’avait changé ! », « vivement que nous retrouvions la vraie vie, vivement que tout redevienne normal, je me sentirai enfin mieux », « vivement que tout cela finisse ». Nous pourrions presque oser reformuler « je veux ne plus ressentir la pandémie, je ne veux pas ressentir le confinement, je ne veux pas vivre que cette vie est différente ». Les psychanalystes connaissent bien cette demande d’une image de soi idéale que l’on voudrait fixe, cette demande d’une identité immuable sans bouleversement, sans épreuve, comme si l’on pouvait traverser une vie sans perdre un peu de ce que l’on a été ou de ce que l’on a cru être ou vivre.

La certitude de pouvoir vivre les choses sans en être bouleversés, sans en être profondément inquiété, en allant toujours bien, lissé, est un des visages que peut avoir le moi-idéal qui lui-même est un des paramètres « normaux » que nous mettons en place involontairement pour nous rapporter à nous-mêmes, même si c’est une illusion.

Le refus du réel

Il est alarmant de constater que la pandémie a mis à jour en peu de temps ce qui se prépare depuis longtemps, à savoir le refus chez beaucoup de personnes « saines » d’évoluer avec le réel. Les émotions et les pensées qui rendent anxieux, ou insomniaques, témoignent que nous ne pouvons, de cette réalité face à nous, tout digérer. La pandémie est une expérience collective, donc nous sommes tous en même temps mis à l’épreuve dans notre refus de l’épreuve.
La vulgarisation des prescriptions a certainement depuis des années favorisées la possibilité de regarder le monde qui nous entoure comme étant juste un environnement dans lequel nous nous organisons plus ou moins à notre convenance, alors qu’en fait il est ce qui nous impacte, ce qui nous oblige en permanence a digéré des choses et à en être modifié, à se sentir à la fois toujours soi et toujours différent d’avant. Ce que nous n’acceptons pas tous.

Notre erreur de vouloir nous fixer dans une identité que nous aimons (celle d’une époque dont on se dit que tout allait mieux) n’est pas là pour rien. Nous faisons cette erreur, car elle est rassurante (nous pouvons être rassurés de n’avoir rien perdu de ce qui se passait bien), mais elle nous entraine à avoir peur des émotions négatives envahissantes, alors que celles-ci ne font que nous indiquer que nous avons du mal à digérer, à assimiler, ce que nous vivons et à nous en modifier pour le suivre. Elles nous indiquent que nos vécus passés nous ont laissés sensibles à certains endroits et nous rappellent que nous devons non pas supprimer les indicateurs, mais mieux sortir de notre passé pour continuer vers ce que nous pourrons être de mieux encore.

Consulter aussi « La peur de mourir«